Encore une histoire de langue.
Une amie m’a envoyé un article d’Alberto Mattioli, paru dans "la Stampa" http://www.lastampa.it/2014/02/06/societa/avviso-per-g...
https://lolagassin.blogspot.com/2014/02/encore-une-histoire-de-langue_14.html
Une amie m’a envoyé un article d’Alberto Mattioli, paru dans "la Stampa" http://www.lastampa.it/2014/02/06/societa/avviso-per-gli-studenti-americani-studiare-il-francese-che-sciocchezza-FKgr79YbJ2BYr8aPS6XgdK/pagina.html:, dont le titre est : “Avviso per gli studenti americani :studiare il francese, che sciocchezza!” : Avis aux étudiants américains : étudier le français, quelle bêtise ! ». Il commente une rubrique de John McWhorter au titre provocateur : "Let's Stop Pretending That French Is an Important Language" : Arrêtons de prétendre que le français est une langue importante, dans le bimensuel de Washington, New Republic http://www.newrepublic.com/article/116443/new-york-citys-french-dual-language-programs-are-mostly-pointless
Cette mise en garde
américaine m’a fait immédiatement monter sur mes ergots pour un
cocorico vengeur ! Quoi ! Un Américain, et pas inculte, qui plus est, se permet de dire que le
français est devenu
quasiment une langue morte et qu’il est ridicule de l’enseigner aux enfants
américains puisqu’il ne leur servira à rien, si ce n’est à se libérer d’un
complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Europe ou encore, à parler avec des
Français !
Satisfaite de
ce que je saisissais, a priori, comme
de l’indignation chez mon confrère transalpin, je ne tardai pas à percevoir
dans son interprétation de l’article américain, que je vous engage vivement à lire (New Republic,
chronique Culture), ce que j’appellerais « en remettre une couche», tant les
remarques ironiques d’Alberto Mattioli, loin d’atténuer la radicalité de
John McWhorter, lui donne, en supplément, un petit côté persifleur !
Habileté italienne à mettre
en avant certains minidéfauts de son propre pays (contestare qualcosa scritto dal NYT sarebbe
come sostenere che i tombini di Roma funzionino bene = contester quelque chose qui
est écrit dans le NYT serait comme prétendre qu’à Rome, les plaques d’égout
fonctionnent bien), pour asséner quelques vérités bien senties à l’Américain d’abord, pour le
manque de nuance de son jugement et pour son complexe envers le snobisme
new-yorkais; à tous les Français ensuite, pour leur incapacité à parler autre
chose que leur langue et leur obstination à vouloir qu’on l’emploie dans les
instances internationales. Je cite : "Da decenni, i francesi vivono in un mondo che
parla l’inglese ma insistono a negarlo. In ogni consesso internazionale, i loro
delegati piantano grane epocali (ovviamente in francese) pretendendo la parità
linguistica con l’odiato idioma anglosassone.” Depuis des décennies les
Français vivent dans un monde qui parle anglais, mais ils persistent à le nier.
Dans chaque assemblée internationale leurs délégués provoquent (bien sûr en
français) des palabres sans fin en réclamant la parité linguistique avec
l’idiome anglo-saxon détesté.
Mais il y a dans ces deux pamphlets un point commun, qui m’a beaucoup amusée, et qui a certainement échappé à notre ami italien, c’est leur complexe commun vis-à-vis de New York ! Le reste de l’Amérique trouve les New-yorkais terriblement snobinards et pour eux, vouloir parler français est de la pure affectation. Je cite les premières lignes de McWhorter : “A somewhat surprising piece in The New York Times this week reported that the French dual-language program in New York's public school system "is booming," the third-largest such program in the city, after Spanish and Chinese. “
Autrement dit, ce sont les écoles new-yorkaises et pas les autres qui mettent le français en 3ème langue et c’est le New York Times qui le fait savoir ! Ce qui vaut à Mattioli le commentaire que je traduirai ainsi : "Un article paru dans New Republic descend en flammes la manie des écoles new-yorkaises d’enseigner le français à leurs élèves et les prétentions des parents à vouloir qu’ils l’apprennent : « Cela ne sert à rien, qu’ils apprennent plutôt le chinois ou l’arabe. "
Mais si l’Italien Mattioli fait cause commune avec McWhorter pour trouver idiote (Let’s Stop pretending et sciocchezza) cette pose new-yorkaise vis-à-vis du français, c’est, sans doute, qu’il supporte mal ce cliché encore bien établi dans Big Apple: l’italien est la langue de la mafia et des restaurateurs de Little Italy (même si aujourd’hui ils sont presque tous chinois !).
P.S. En relisant mon texte, j’ai oublié de
faire deux remarques à Mattioli ; la première, il y a déjà longtemps que les
Français ne disent plus "fin de semaine", ils partent en week-end comme tout le monde ! La seconde est plus subtile :
c’est vrai nous disons « ordinateur » et non « computer »
par snobisme, peut-être ou alors par souci de précision car pour nous, depuis
1584, « comput* » signifie « calculer » et
heureusement nos ordinateurs ne font pas que calculer !
* Le Robert, Dictionnaire
historique de la langue française
Suite du texte
d’Alberto Mattioli
Traduction A.D.
Traduction A.D.
"Qui sait comment les Français l’ont pris. Mais peut-être
ne l’ont-ils même pas lu. Le papier de John McWhorter possède deux
caractéristiques indigestes pour un éventuel lecteur gaulois : il a paru
dans une revue américaine, « New Republic", et il est en anglais.
Mais si quelqu’un à Paris a affronté l’immense fatigue de décrypter quelque
chose qui n’est pas écrit en français, la moutarde lui sera montée au nez et la
prose subtile de Mister McWhorter lui aura donné l’atroce impression qu’il boit
du champagne chaud ou un cognac froid. Le titre est déjà un coup de poignard,
car ce qui tient le plus à cœur à un Français n’est pas, comme on pourrait le
penser, sa cuisine, mais sa langue.
" Cessons
de prétendre que le français est une langue qui compte. Merde ! (En français dans le texte NDLR)." Plutôt qu’un titre,
c’est une gifle. Adieu Molière, tchao Racine, bye bye Voltaire et bien le
bonjour chez vous à Sartre.
En
réalité, McWhorter se déchaîne contre une recherche relatée par le "New York
Times" selon laquelle dans les écoles publiques il y a un boom de
l’enseignement du français, troisième langue étrangère étudiée après l’espagnol
et le chinois. Évidemment, l’éditorialiste de «New Republic» ne conteste pas cette
information : contester quelque chose qui est écrit dans le NYT serait comme
prétendre qu’à Rome, les plaques d’égout fonctionnent bien ; ce qu’il conteste,
et pesamment, c’est que ce retour de flamme en faveur du français ait un sens.
Sauf, peut-être celui de titiller le sentiment bien ancré de l’infériorité
américaine pour la «sophistication» européenne et le non moins bien ancré
sentiment de supériorité des Français. Aujourd’hui, en effet, l’étude du
français est une relique du passé, comme une télé en blanc et noir ou
l’interview d’un démocrate-chrétien à la De Mita. « L’ère d’Henry James,
c’est du passé », assène McWorther, pour qui l’étude du français est une
sorte d’antiquaille d’un monde où il était encore chic pour certains Italiens
de prononcer les « r » à la française. Et, en bon Américain
pragmatique, il conseillera à sa fille de deux ans d‘apprendre d’abord le
chinois puis, pourquoi pas, l’arabe et bien sûr l’espagnol (désormais, aux
States, il y a plus de bilingues que dans le Haut-Adige), mais certainement pas
le français, «Pour communiquer avec qui? » Pourquoi pas avec les Français
qui, s’ils sont « de souche », ne parlent qu’une seule langue :
la leur.
Cet
article de "New Republic" est provocateur, brillant et conforme à
la vérité. Mais il n’entamera pas les solides certitudes transalpines. On peine
à croire qu’un peuple aussi intelligent puisse ainsi se tromper lui-même. Les
Français vivent dans un monde qui parle anglais, mais ils persistent à le nier.
Dans chaque assemblée internationale leurs délégués provoquent (bien sûr en
français) des palabres sans fin en réclamant la parité linguistique avec
l’idiome anglo-saxon détesté. Depuis le XVIIème siècle l’Académie française
travaille à son "Dictionnaire" et veille à la pureté de la langue.
Les journaux sont pleins d’articles sur la langue et de lettres de lecteurs qui
en contestent les conclusions. L’orthographe est une obsession nationale ; se tromper dans une concordance de temps expose à la risée publique et on
continue à dire et écrire «ordinateur» au lieu de computer et «fin de semaine»
au lieu de week-end. Il existe même un grotesque Ministère de la Francophonie
chargé de veiller à la diffusion du français et à son «rayonnement» dans le
monde, qui organise régulièrement des sommets mondiaux de la Francophonie avec
le président de la République, un ou deux Wallons, deux ou trois Suisses, le Monégasque
et des chefs d’État africains qui ont eu la malchance d’avoir été colonisés par
Paris et non par Londres et qui sont donc obligés de faire apprendre l’anglais
à leurs écoliers.
A
qui profite tout ce branle-bas linguistique ? Pratiquement à personne, ce
que sait n’importe quel homme d’affaires français (il doit bien en rester
quelques-uns) qui, dès le décollage à Charles-De-Gaulle, se met à parler
anglais (très mal) s’il veut vendre du camembert ou une centrale nucléaire au
reste du monde.
Bon,
d’accord : le français ne sert plus à rien. Pourtant, le jour où quelqu’un
rouvre « Les Mémoires d’outre-tombe » ou « A la
Recherche », tout compte fait, il n’est pas mécontent d’avoir sacrifié les
meilleures années de sa vie pour comprendre la subtile différence entre partir pour et partir à…
.