Gregory Forstner, portrait

Hélène Jourdan-Gassin : J’ai aimé ton texte pour ton exposition, La Fiancée du Collectionneur* , il est comme toi, bien balancé, l...


Hélène Jourdan-Gassin : J’ai aimé ton texte pour ton exposition, La Fiancée du Collectionneur*, il est comme toi, bien balancé, libre et d’une grande clarté pour dire ce que tu es, comment tu t’es fabriqué, dans la vie comme en peinture et comment tu as bien l’intention de continuer ! Je dirais même qu’après lecture, il ne me reste plus grand-chose à écrire, mais ce serait te réduire à ce court manifeste, alors qu’il y a en toi plein de chemins à explorer, notamment celui de la peinture… Peux-tu en tracer quelques lignes ?

"La Fiancée de Collectionneur", galerie Eva Vautier
Gregory Forstner : La peinture c’est venu avant tout de la vie ! Enfant, je n’allais pas dans les musées ; c’était plutôt la télé, le cinéma, les westerns spaghetti et la mer… Ce n’est que plus tard, parce que j’étais doué pour le sport mais aussi pour le dessin que, naturellement, je suis allé vers la peinture, mais les émotions venaient avant tout de la vie. C’est un peu comme un coureur qui se souvient de sa sensation de courir, enfant, et qui ensuite va rechercher ses modèles chez Carl Lewis, Ben Johnson… J’ai fait le même chemin, mais dans la peinture… Par exemple, j’ai compris Cézanne très tard ; je trouvais ça nul, pas sexy du tout et en fait, je ne l’ai saisi qu’à partir de ses premiers tableaux qui sont des croûtes horribles et magnifiques, des sortes de viols, d’enlèvements, qui m’ont révélé le fond du bonhomme…

HJG : Que pourrait-on dire du peintre Forstner ? Qu’il est figuratif, réaliste, expressionniste, satirique… Après avoir lu ton texte, La Fiancée du Collectionneur, j’ai envie de chanter avec Juliette Gréco : « Je suis comme je suis… »

GF : Il y a un peu de ça, en effet. Depuis mon enfance, on m’a toujours fait le reproche de ne pas me couler dans le moule ; dans ma scolarité comme aux Beaux-Arts, d’ailleurs. Je ne corresponds pas à l’archétype de l’artiste ; je suis un enfant gâté, né au bord de la mer et heureux, qui plus est… Dans un premier texte pour l’exposition du MAMAC*, Joseph Mouton disait de moi, grosso modo : " énergumène, il venait d’Autriche, il avait fait le tour du monde, c’était un surfeur ; personne n’y croyait… " Amusé mais pas fâché, j’ai compris que ça résumait assez bien ma situation par rapport au monde de l’art : j’étais un produit non pas d’une scolarité, mais du voyage. Enfant né au Cameroun, d’un père autrichien, d’une mère française, parti à quinze ans aux États-Unis pour vivre un an dans une famille d’accueil, j’avais eu la chance d’apprendre la vie par l’aventure. D’où ma liberté en peinture comme dans ce texte que tu aimes...

HJG : Tu n’appartiens pas à un mouvement proprement dit, mais ta peinture a cependant une relation profonde avec la peinture, allemande, autrichienne. Ce côté Mitteleuropa, est-ce l’héritage de ton père ?


GF : Mon père est autrichien, mais je n’ai pas vécu en Autriche, sauf six mois avant d’entrer à la Villa Arson, et je n’ai jamais parlé allemand avec lui ; donc, j’ai été obligé de chercher ma culture germanique ailleurs pour comprendre de quoi j’étais fait, et naturellement, on aime explorer ce qui vous a été confisqué.
Vers mes dix-huit ans, le mystère de cette appartenance autrichienne m’a conduit à aller chercher mes racines auprès d’artistes comme Otto Dix, Ernst Kirchner, Oscar Kokoschka, Alfred Kubin, Ensor, etc. afin de me construire une mythologie personnelle. J’ai écrit mon premier texte et peint mon premier tableau d’après un portrait d’Hans Bellmer…
Le Goutteur, 2005
Mais je me suis aussi inspiré de gravures hollandaises des XVIIème et XVIIIème siècles, avec leurs personnages grotesques, ces bouffons à marotte qui personnifiaient des dictons de l’époque. Ils symbolisent pour moi la fonction de l’artiste : savoir être idiot, ce qui ne veut pas dire débile ; oublier qu’on sait quelque chose, pour avoir la liberté de toujours écouter la vie, la peinture…Cette figure du bouffon qui seul peut dire au roi ce que les autres s’interdisent, cette idiotie, ou plutôt cette intelligence, cette conscience symbolise pour moi la fonction de l’artiste qui se doit d’être la fois sérieux, grandiloquent même, mais avec toujours la présence du rire ou de l’ambivalence de manière à dire ce qui est impossible, monstrueux et réjouissant en même temps, et cela sans jugement moral.

HJG : Comment as-tu fait admettre cet aspect très atypique de ta personnalité dans une école nationale française telle que la Villa Arson ?

"Un jeu d'enfant", Pâques 1999
GF : Par le travail ! J’ai compris que peu importait " la famille ", mon travail serait accepté s'il était bon. Il y a deux familles en art : le bon travail et le mauvais. Les catégories : peinture abstraite, figurative, installation… tout ça c'est de la coquetterie, ça n'a aucun sens. Il y a des bonnes et des mauvaises pièces.
J'ai su que j’avais gagné la partie quand Noël Dolla* m'a demandé le prix d'un tableau. Il s’agissait d’une toile peinte pendant les vacances de Pâques 1999, pendant la guerre du Kosovo. J'étais seul à travailler à la Villa, formidable ! C’était le premier tableau dans lequel apparaissait le casque allemand, presque inconsciemment, comme ça, naturellement, et je l’ai accepté... J'ai proposé à Noël de faire un échange. C’était pour moi un symbole intime et précieux que ce troc entre deux artistes. C’est ce que nous avons fait et j'en suis très heureux. Merci à lui.

HJG : Depuis, bien d’autres choses te sont arrivées si on en croit ton curriculum vitae, mais faisons un grand saut dans le temps ; parle-moi de ta vie aujourd’hui à New York.

GF : New York, c’est un ciel bleu et la mer. Je suis à quarante minutes de plages magnifiques, juste au sud de l’aéroport JFK… Je peins, je sors, je nage, je respire… En plein été, il y a moins de monde là-bas que sur la Côte d’Azur.
Côté travail, au début j’ai eu la chance de vendre un tableau à une curatrice du Moma et d’avoir quelques contacts de cet ordre, mais j’ai vite compris que ce ne serait pas facile. L’artiste Roland Flexner, niçois lui aussi et dont la notoriété n’est plus à faire, m’a prévenu : « Gregory, ça m’a pris vingt-cinq ans pour me faire une place à New York, alors tes expositions dans les galeries, dans les musées européens, ça ne t’évitera pas de repartir à zéro ici. » Je ne suis pas naïf, je sais que beaucoup de travail reste à faire. Ça me va.

HJG : J’ai découvert, en 2008 ou 2009, dans une galerie de Chelsea, une belle exposition de tes nouvelles œuvres. D’immenses formats, très puissants, mettaient en situation des hommes noirs. Cette thématique, venant après la période des Chiens, m’a semblé illustrer une Amérique très présente mais très éloignée du milieu culturel new-yorkais ambiant. Pourquoi avoir pris un sujet aussi particulier ?

GF : A mon arrivée à New York, j’ai tout de suite habité Brooklyn dans un quartier où avec ma famille nous étions les seuls Blancs. C’était extraordinaire et je me suis immédiatement senti chez moi puisque je suis né au Cameroun et que mes premiers amis étaient des Noirs. A Brooklyn j’ai immédiatement été proche d’eux, mais eux n’étaient pas sûrs de ce sentiment et il m’a fallu les provoquer, partager leurs intérêts… Comme je suis quelqu’un de très frontal, c’est par le contact de la rue, par le sport que je me suis fait accepter. Maintenant, savoir si cela correspond à ce qu’on attend d’un artiste français arrivant à New York, je n’en sais rien. En tout cas, c’est justement lorsque que ça coince qu’une situation m’intéresse.
Dans mes tableaux, le Noir, je l’ai habillé avec les habits du Blanc, il est devenu un prince ! J’ai découvert des lithographies de l’épopée américaine datant du XIXème siècle, du Far West, où l’on voit toujours le Noir comme servant du Blanc : Le Blanc pêche et c’est le Noir qui ramasse le poisson ! J’ai inversé les rôles… Le monde à l’envers, c’est ce que j’ai souvent utilisé dans ma peinture, avec les Chiens, c’était déjà pareil. Ce renversement des valeurs a fait sens pour moi, je me suis dit  " Comment se fait-il que toi, un peintre de figures, tu n’aies jamais peint de figures noires dans ta vie alors que tu es né au Cameroun, que tu vis dans un quartier noir à New York ? "

HJG : Venons-en au geste de peindre, à la technique. C’est, me semble-t-il, quelque chose de physiquement essentiel, de primordial comme vivre ?

GF : Oui, je suis un jouisseur. Je prends un grand plaisir à faire ce que je fais, sinon je ne le ferais pas. J’ai compris très tôt que je n’étais pas capable de garder une sensation très longtemps, un peu comme les enfants. Je suis impatient, donc j’ai besoin d’aller vite ; mon geste est démonstratif et mes sujets doivent apparaître très vite ; je suis le premier spectateur de mes tableaux et ils sont faits en une seule séance, entre deux, trois, six ou douze heures, ça ne dépasse pas une journée…
En revanche, la préparation peut être longue, intensive… Je travaille beaucoup sur l’image, par des croquis, avec Photoshop, etc.

HJG : En ce moment tu exposes à Nice où tu as déjà des collectionneurs, mais n’envisages-tu pas une insertion plus large de ton travail sur la scène internationale ?

GF : A Berlin, je suis soutenu par la Galerie Zink. Son propriétaire, Michael Zink, est aussi
Ben, Gregory Fortsner, Gérald Panighi
un collectionneur passionné. Il a plusieurs œuvres de moi, notamment de grands formats, et il m’expose et me soutient beaucoup, ce qui est indispensable car je vis de ma peinture. A Nice je suis très heureux d’exposer chez Eva Vautier, qui fait un très bon travail, et puis Nice c’est l’endroit où j’ai débuté. Des affinités se sont créées avec Eva et avec Ben Vautier, son père. J’y ai aussi des copains comme Gérald Panighi, par exemple et bien d’autres encore.
Mais la France n’étant pas fédérale comme l’Allemagne, une galerie parisienne est indispensable aussi.

HJG : Je t’ai déclaré mon admiration pour ton texte La Fiancée du Collectionneur, et la peinture qui va avec, bien sûr, mais ne peut-on pas dépasser ce seul titre alléchant pour livrer le sens de ton exposition ?

GF : J’avais donné un titre anglais, " The Collector’s Girlfriend " à ce tableau mais comme je trouve un peu stupide et snob de donner systématiquement un titre anglais à une exposition qui a lieu en France, j’ai cherché à traduire cet intitulé et "fiancée"  m’a semblé plus poétique que copine ! Ce titre m’amuse aussi dans la mesure où il correspondait au stéréotype qu’on se fait du collectionneur, avec à ses côtés une belle femme, jeune en général, et sexy… Ce titre colle aussi très bien à ce que je peins et comment je le peins : quelque chose de direct, de frontal, des images faciles à digérer, mais derrière, à mon insu, d’autres choses apparaissent. Si la Blonde, la Brune, le Superman, les mots crus sont à la surface, à l’intérieur c’est la vibration du sujet - son ambivalence se révèle quand on a tourné le dos…

Propos recueillis par Hélène Jourdan-Gassin, 
L'artiste devant la Fiancée du Collectionneur
Galerie Eva Vautier, Nice en décembre 2014

*La Fiancée du Collectionneur
Elle était grande, elle était blonde, c’était la fiancée du collectionneur. Je lui fais des hanches nourricières (en plus des fesses, j’aime les hanches des femmes), des épaules de nageuse (je suis nageur), les cheveux jaune de Naples (je suis blond) et un casque colonial du bush africain (je suis né au Cameroun). Autant peindre les filles qu’on aime baiser. Les stéréotypes ont la peau raide, leur surface est plaqué or. La fille désirable est donc blonde, pulpeuse, les seins pointent durs, ses lèvres sont rouges et brillent. La fumée me passe par les doigts. Je peins avec du sucre. J’entretiens un lien direct avec mon enfance. J’y suis quand je veux. Quand je pense nuage, je l’imagine bleu. En peinture les montagnes sont toujours bleues. L’enfant sur la plage dessine le nuage bleu. Le ciel est bleu aussi et la mer en dessous est bleue pareillement mais plus profonde. Au milieu c’est « vide», c’est le blanc du papier qui ne demande rien. J’ai mis du temps à peindre des paysages. Je n’ai aucun problème avec le vent, la mer, l’herbe, les vaches, tout ça. Quand ils arrivent dans la peinture, ils sont là pour poser une scène. La Chute d’Icare est un bon exemple. Le sujet est passé sous l’eau, seul les pieds ridicules et les mollets ardents sont visibles en bas à droite. En attendant, chacun des détails du paysage permet le plongeon.
L’art est compensatoire. La peinture ne cherche pas à dire quelque chose. Il s’agit d’un moment. Il faut se pincer pour y croire ! Sans déconner, la peinture c’est rien d’autre que de se pincer pour y croire. Il y a l’Histoire et la petite histoire, mais en vérité, il s’agit toujours d’une sensation qui se dérobe pour se renouveler ailleurs et autrement. On se cache derrière les images des autres pour apparaître plus grand. Le reste c’est de la conversation. Il faut bien que d’autres s’amusent, seul, on n’existe pas. Ici, le ciel est bleu comme ses nuages, et dans le vent la Fiancée tire Le Collectionneur. L’objet de la figure est sa présence, son apparition est son effet. Ne cherchez pas ailleurs. L’enfant commence par dessiner ce qui lui paraît essentiel, les bras, les jambes, la tête, et il s’émerveille. J’ai grandi et je peins ce que j’aime : les seins, les yeux, les queues de billard, les trous du cul et les hanches, des scaphandriers et puis parfois des chiens - il faut toujours peindre les choses que l’on désire - ou alors les choses que l’on déteste. Je préfère peindre de jolies filles. Il arrive que la peinture les peigne laides, mais moi, je les peins belles. La peinture décide parfois autrement parce qu’autour d’une fille, il se passe toujours quelque chose que l’on n’anticipe pas. Dans la vie, c’est pareil. Il faut que la nana se plaigne un peu pour que le tableau tourne, elle fait la moue, une grimace, et on craque. En cherchant l’air de l’hôtesse, on perce l’air du tableau dans son fond. En forçant les stéréotypes, le naturel explose. À force de faire le geste, il part tout seul.

Gregory Forstner

*Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain
*Enseignant à l’École nationale d’Art, Villa Arson


News // Actualités:
- La Fabrique de la Peinture - De La Haute Mer au Midi Brûlant  - conférence au Collège de France - 30 et 31 Octobre 2014 en ligne :
English Version - From The High Seas to The High Noon : 
- La Fiancée du Collectionneur - Galerie Eva Vautier, Nice. Jusqu'au 3 janvier 2015.
Courtesy Simone Simon pour le reportage photo à la galerie.

Publications:
Aux Éditions derrière la salle de bains :
Ma Poupée
La Fiancée du Collectionneur (Avec la Galerie Eva Vautier, Nice)
Mon Héros (dans le journal Behind Automne 2014)
Aux Éditions Wildproject:
Plein la Vue - par Marc Molk 


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