Mesures de rétorsion

"Quand les avis divergent"

J’ai reçu dernièrement ce texte  et cette image d’une vieille amie qui a pour la Russie, littérairement et littéralement, un amour passionné que rien n’entame, surtout pas aujourd’hui le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. Oscillant entre des informations souvent contradictoires et des jugements à l’emporte-pièce de medias plus aptes à relater qu’à réfléchir, j’en suis arrivée à me dire que j’étais incapable de faire la part des choses et que, compte-tenu de ces renseignements insuffisants ou partisans, il m’était impossible d’avoir une opinion .

C’est pourquoi ce commentaire amoureux m’a paru être le meilleur chemin pour aborder ce que seuls de fins et désintéressés politologues pourraient éventuellement mieux exprimer sur un sujet aussi brûlant.

Mesures de rétorsion

Pour punir la Russie, les mesures de rétorsion économiques déjà mises en place et celles qui s’y ajouteront ne suffiront pas à faire reculer l’ogre Poutine. Il faut le frapper dans ce qui fait son orgueil : la civilisation russe, et ce qui constitue son ambition : rendre à la Russie la grandeur et la puissance qu’elle a connues au temps des tsars et perdues avec la faillite et l’éclatement de l’URSS.

Pour cela, il est indispensable que l’Europe fasse en sorte que les citoyens ne soient plus séduits par l’attrait - ce fameux charme slave - exercé par cet immense pays et sa culture. Aussi convient-il d’interdire aux enfants de lire des romans tels que « Michel Strogoff» ou

Le Général Dourakine

« Le Général Dourakine »(1) ; aux adultes, de lire « Le Voyage en Russie » (Ed. Bouquin), « Voyage en Russie » d’Alexandre Dumas, « Lettres de Russie » de Custine, « Dans les forêts de Sibérie » de Sylvain Tesson et bien entendu tous les romanciers et poètes russes du XIXème siècle. Sans oublier le « Hadji Mourat » de Tolstoï, qui rend compte de la guerre qu’en tant qu’officier il a menée contre les « terroristes » tchétchènes (eh oui, bien avant Poutine, la Russie des Tsars se battait déjà en Tchétchénie). Et bien sûr devront être exclus aussi tous les écrivains et poètes contemporains, tels qu’Anna Akhmatova, Brodsky(2), Boulgakov, Gontcharov, Evtouchenko, etc. Seule exception permise : Soljenitsyne.

On évitera également de programmer des oeuvres théâtrales, musicales, chorégraphiques et cinématographiques d’auteurs et d’acteurs russes. On préférera Chopin à Tchaïkovski (ce qui flattera les Polonais), « La Muta de Portici » à « Boris Godounov », «Le Genou de Claire » au « Cuirassé Potemkine », « Pelléas et Mélisande »  au « Sacre du printemps », et ainsi de suite. Bref, tout ce qui pourrait séduire des esprits influençables doit être résolument écarté…

Les cathédrales russes érigées en France (à Paris et Nice en particulier) devront être interdites à la visite, sauf aux spécialistes des icônes. Leur décoration surchargée, leurs bulbes bariolés offensent  notre sobriété cartésienne.

Toutefois, on pourra tolérer une exception pour les restaurants russes : le prix du caviar les mettant hors de portée du Français moyen, une épidémie de russophilie est à exclure.

Enfin, nous souvenant qu’il fut un temps (1815) où l’on vit les cosaques à cheval camper sur les Champs-Élysées, je propose que pour conjurer leur possible retour, à bord de tanks cette fois, on débaptise le pont Alexandre III au profit de George Bush junior. A Nice, le boulevard Stalingrad (précédemment Impératrice de Russie) pourrait s’appeler Lech Walesa : en effet, du temps du maire Jacques Médecin(3), la seconde partie de ce boulevard  fut déjà débaptisée et dédiée à Lech Walesa. Ainsi, les deux parties du boulevard porteraient le même nom (encore une chose qui devrait plaire aux Polonais). Et pourquoi pas, près de Paris, ne pas parler tout simplement de Bicêtre et non plus de Kremlin-Bicêtre. Que vient faire cette forteresse barbare au cœur de l’Ile-de-France ?

Certaines de ces suggestions peuvent sembler de bien peu de portée par rapport au danger qui nous menace.(4) En outre, quelle que soit notre opinion sur Lénine, on peut trouver « inappropriée » sa représentation en Manneken-Pis  (oui, la petite statue pisse vraiment de l’eau) que l’Estonie vient d’ériger. Peu importe, ne dit-on pas que les petits ruisseaux, et ce pipi en est un, font les grandes rivières ? Bref, c’est en unissant nos efforts et en multipliant nos actions que l’Axe du Bien mettra à bas l’Empire du Mal. 

(1) J’ai honte d’avouer qu’à bientôt quatre-vingt-quatre ans, il ne se passe pas d’année sans que je relise l’un et l’autre. Quand ma mère était mal coiffée, je lui disais « tu ressembles à la Papofski. » Et j’ai toujours en mémoire l’image de la Bibliothèque rose où la Papofski, plus échevelée que jamais et à demi-engloutie dans une trappe, est fouettée sur ordre du capitaine Ispravnik qu’elle a tenté de corrompre. J’ai lu ce livre à huit ou neuf ans et je le relis encore. C’est dire la puissance du « charme slave » sur moi…

(2) Dans « Fuga da Bisanzio », Brodsky écrit que le russe est la langue la plus propre à exprimer les mille nuances de l’âme humaine. Raison de plus pour ne pas en encourager l’enseignement : pour faire des affaires, pour passer des marchés, pour faire la guerre, qui a besoin de nuances ? A la limite a-t-on vraiment besoin d’une âme ? Ne nous entrave-t-elle pas dans notre action en nous posant des questions gênantes, en suscitant en nous des doutes paralysants, des regrets inutiles ?

(3) Anticommuniste patenté, ce maire avait trouvé là l’occasion de faire pièce au PCF, très présent dans ce quartier et à cette époque.

(4) Max Ernst aurait-il pressenti ce danger, lui dont une toile a pour titre « Les Barbares marchent vers l’ouest » ?

Mise à jour le 10/09/14
Lire dans Le Point, l'article sur Tolstoï
http://www.lepoint.fr/culture/un-doodle-pour-les-186-ans-de-leon-tolstoi-09-09-2014-1861431_3.php