Only Lovers Left Alive

Je suis une inconditionnelle de Jim Jarmusch, alors ne me demandez pas si j’ai aimé, j’ai goûté ou plutôt bu (il s’agit de vampires) jusqu’à la dernière goutte cette errance poétique de deux amants à travers les siècles, contée par ce cinéaste unique dont chacun des films est sinon un chef-d’œuvre, du moins un monument de curiosité.

La meilleure synthèse de cette histoire d’ici et d’au-delà, je l’emprunte à l’interviewer de Jim Jarmusch, Philippe Azoury : « Only Lovers Left Alive se présente comme un film de vampires, mais cache en son sein la quête romantique d’un musicien, Adam (Tom Hiddleston) – reclus à Detroit en manque de sang O négatif -  et de sa compagne Eve (Tilda Swinton) qui, depuis Tanger, le tient au courant de l’évolution du monde et de ses avant-gardes, goûtant le sang neuf de la beauté. »

Jim Jarmusch, Tilda Swinton, Tom Hiddleston

L’intérêt de ce conte est qu’il échappe à l’exercice habituel du genre. D’abord par la sophistication du matériel vampirique - pas de pic ni de crocs sanguinolents - mais une hémoglobine soigneusement acheminée d’un laboratoire aseptisé vers nos consommateurs qui la dégustent dans d’élégants verres de Bohème ; mais surtout par le point de vue philosophique du récit : seuls les créateurs traversent les siècles et communient dans l’amour de la culture… Pour ces Adam et Eve-là, un Christopher Marlow éternel personnifie leur fidèle dealer et Lord Byron, Mary Shelley et William S. Burroughs leurs compagnons de route…

Je ne vous en dis pas plus car vous n’êtes pas au bout de vos surprises, surtout celle de la chute, qui est excellente. Ce film fou, drôle et poétique est truffé de situations extravagantes et de découvertes visuelles heureuses, comme celle de Tilda Swinton tournant sur la platine comme un 33 tours. Nos amants évoluent dans des lieux au sein de villes qui se délitent : Tanger et ses ruelles peuplées de dealers, Detroit avec ses bâtiments délabrés sur des avenues désertiques. Tout cet univers est, bien sûr, nimbé d’une lumière crépusculaire, comme il sied au confort des vampires !

Tom Hiddleston (Adam) beau, languide et désabusé, est un musicien (j‘allais oublier, la musique est très bonne) reclus qui se lamente sur l'état du monde actuel, convaincu que l'humanité est condamnée…

Tilda Swinton

Quant à Tilda Swinton, si vous attendez d’elle qu’elle soit seulement vampiriquement belle et élégante, c’est sans compter sur son goût du travestissement et de la performance ! Loin de sa magnifique interprétation d’une grande bourgeoise milanaise dans Amore ou de son rôle actuel d’icône de la mode, elle est dans ce film, un surprenant vampire à la perruque poussiéreuse, aux  tenues baba cool, au regard usé par le passage des siècles, mais envoûtante par ce long corps à la démarche élastique, ce regard bienveillant sur le monde et ce pouvoir de résistance à tout ce qui pourrait détruire l’amour.

Oui, après Stranger Than Paradise, Down by Law, Dead Man, Ghost Dog, Broken Flowers… Jim Jarmusch a encore fait là un très beau film.