Marcel Bataillard – Portrait
M’entretenir de leur travail avec les artistes est un exercice qui ne présente pas pour moi de difficulté particulière d’autant plus que j...
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M’entretenir de leur travail avec les
artistes est un exercice qui ne présente pas pour moi de difficulté
particulière d’autant plus que je le pratique depuis longtemps, que ce soit
auprès de personnalités de renom comme avec des plasticiens débutants, mais
dans le cas de Marcel Bataillard aujourd’hui, l’obstacle venait du fait d’être
à la fois intervieweuse et galeriste de l’artiste. Nous l’avons tous deux
franchi sans trop d’embarras, même si parfois j’ai joué les néophytes devant la
personnalité protéiforme de cet artiste qui, selon ses dires, s’autorise tous
les registres… parodique, comique, burlesque, politique, poétique...
Hélène
Jourdan-Gassin :
Comment s’est construit le Marcel
Bataillard d’aujourd’hui : naissance, famille, études, amitiés…?
Marcel
Bataillard :
une naissance à Toulon mais très anecdotique puisque je n’y suis resté que le
temps de venir au monde. Je suis fils d’un médecin parachutiste au caractère
très affirmé, c'est-à-dire avec du caractère et de l’originalité, qui a
beaucoup navigué dans le monde, Indochine, Afrique… et d’une mère corse, dont
une partie de la famille a vécu en Asie ; donc en ce qui me concerne on
peut dire que je suis un produit d’une culture du déplacement, du voyage, aux
racines assez fluides bien que clairement corses. Familialement j’ai parcouru
un axe français Sud- Ouest/Sud-Est : Pau, Tarbes, puis Vallauris où la
famille s’est fixée, pour de mon côté, monter à Lyon (comme on dit ici) où j’ai
vécu trois ans avant de m'installer à Nice.
Je n’ai pas du tout fait d’études d’art, mais
un bac C, une année de fac de Lettres, puis une école de communication. Si j’ai
voulu très tôt « faire l’artiste », j’ai aussi très vite compris que
dans l’immédiat, ça n’allait pas nourrir son homme… Du coup j’ai opté pour un
métier qui, bien qu'alimentaire, me plairait et je me suis orienté vers le
graphisme.
HJG : Si j’ai mis « amitiés » en numéro
4 de mon énumération, c’est parce que la première fois que j’ai eu connaissance
de ton existence, c’est à travers ce groupe de trois garçons que Ben (je crois)
avait surnommé Les Insupportables. Est-ce grâce à Ben Vautier que
commence ton parcours artistique ?
Les Insupportables |
HJG : S’il a eu le surnom d’Insupportables, votre
groupe ne s’appelait-il pas Les Manké, à l’origine ?
MB : En fait Les Insupportables est la holding
chapeautant Guignol’s
band, qui réalise des interventions s’occupant de revisiter le
répertoire – souvent littéraire mais aussi musical - sous forme de performances ; puis nous avons Power trio, la version purement musicale (le terme fera sourire
certains) qui existe en d’autres déclinaisons selon le contexte : American
Beauty, Provoko al Frakaso,
etc. Le Festival Manké auquel tu fais référence est une création des Insupportables dans laquelle peuvent s’insérer
les autres interventions citées précédemment, mais dans le cadre du Festival Manké, les
Insupportables sont aussi producteurs : quatre-vingts personnes ont dû passer par le Manké… Le Festival est né d’une discussion de bistrot entre nous trois, où nous exprimions notre
mécontentement de la tournure qu’avait prise le Festival MANCA* après le départ
de son créateur, le compositeur Michel Redolfi et je ne sais plus qui a lancé “ on devrait dire que c’est le festival Manké plutôt que Manca !"
HJG : J’aimerais maintenant faire le même tour d’horizon de tes activités de
plasticien/performeur…
Marcel Bataillard Le peintre aveugle |
J’ai fait une série qui a servi,
on pourrait dire, d’intermédiaire : Les collections permanentes du musée Marcel
Bataillard, où j’abordais systématiquement le principe des
reproductions d’œuvres d’art. Et à côté de ça,
car je trouvais la démarche un peu trop bavarde ou tout au moins encore trop
compliquée, j’ai commencé à travailler à l’aveugle, la raison principale
étant d'aller à l’essentiel. Peindre les yeux fermés oblige à des économies de
moyens, mais aussi à savoir exactement où l’on veut aller et en même temps à jouer, mon principal but depuis mes débuts…
HJG :Je me suis longtemps interrogée sur ton travail à l’aveugle,
partais-tu de la conception de quelque chose que tu faisais les yeux fermés ou
au contraire, le fait d’avoir les yeux fermés suscitait-il des images que tu
essayais de traduire par des gestes picturaux ?
Narcisse (autoportrait) - peinture à l’aveugle, huile sur toile sur châssis 155x110 cm - 2003-2009 |
HJG : Parlons un peu cuisine : ce sont des huiles, des acryliques…
MB : Au début plutôt de l’encre sur papier dans de
petits formats, puis les derniers temps c’était aussi bien des acryliques, des
huiles, des encres sur papier, sur carton, sur toile, indifféremment. L’intérêt
de cette démarche, c’est qu’elle m’a réappris à
dessiner. Le geste devait être spontané, sans repentir, car dans un tel
processus, l’hésitation se voit immédiatement.
HJG : Une autre question que je me suis souvent posée, et que je me pose
spécialement aujourd’hui où j’évoque ce travail à l’aveugle, alors que j’ai
choisi de montrer une facette plus récente de ton travail… Comment un artiste
décide-t-il qu’une étape est franchie, qu’une série est accomplie ? Comment
passe-t-il à autre chose ? Est-ce qu’on se dit, ça va, j’en ai fait le
tour… ou bien est-ce quelque chose qui vient et pousse le reste pour prendre sa
place, un peu comme les derniers-nés d’une famille chassent parfois les aînés ?
La nuit des poètes avec la Compagnie Pietragalla |
HJG :
Cette manifestation boucle-t-elle définitivement l’étape du peintre aveugle
pour faire place au travail que nous montrons aujourd’hui : Version
originale sous-titrée ?
Point de vue, Hôtel Windsor |
HJG: Avant
de passer à l’exposition qui nous occupe aujourd’hui, j’aimerais connaître en
résumé, ce qu’a représenté pour toi cet exercice stylistique et ce qui t’a
conduit à cette mise en danger, à ce parcours d’équilibriste…
MB :
C’était, je crois, m’obliger à considérablement resserrer le propos et la
forme. Il est finalement plus facile de créer lorsque les contraintes sont
fortes. J’étais en réaction face à ce qui passait courant 90 quand j’ai
commencé, où l’on débordait d’expositions avec d’énormes moyens, très spectaculaires,
très bavardes qui m’insupportaient, c’était une façon de revendiquer ma
différence. C’était, contrairement à la tendance, ne pas chercher à séduire le
public par des images tapageuses, mais plutôt l’inciter à faire un chemin vers
l’œuvre et lui faire confiance au lieu de lui imposer une lecture préfabriquée.
carton d'invitation |
J’aimerais
que tu me dises comme pour Le peintre aveugle
comment sont nées ces deux séries : Au passage et Je suis une légende…
MB : J’ai toujours abordé la
photographie, mais je daterais de 2004 le moment où je la conçois comme une
activité sérieuse à laquelle je réfléchis, dont j’étudie le rendu. Je suis
lent, je travaille par périodes, j’aime regarder, laisser décanter…
Prenons Au
Passage par exemple ; en croisant un jour une fenêtre aveugle (eh oui,
encore !) je fais une photo, puis au gré de mes pérégrinations j’en croise
d’autres, des portes aussi, cinq ou six à la file que je photographie dans des
lieux très différents jusqu’au moment où, les regardant sur mon ordinateur, je
me dis qu’il y a là matière à raconter une histoire. Donc par la suite, compte
tenu de mon goût du voyage et de la marche à pied à travers les villes, je
commence à collecter, à la volée, avec mon appareil photo ou mon téléphone
portable, portes et fenêtres aveuglées…
Au Passage, Nice : 15.23 |
Pour la deuxième série Je suis une légende, ce sont
des photos que j’ai prises depuis 2004 ou bien des prises de vue piochées dans le domaine public. Ma volonté est de travailler sur le
rapport image/texte et créer une friction entre les deux. Pour chaque
image de la série, ce qui est montré ne correspond
jamais exactement à ce qui est dit. La légende me paraît une partie
intéressante de la photo à explorer, car
elle est généralement descriptive,
presque une tentative désespérée de crier que
tout ça est bien réel ou alors un ajout qui contextualise l’image.
HJG : Comment travailles-tu
avec la photographie ? Interviens-tu sur tes images avec Photoshop ou toute
autre manipulation ?
Goethe, La forme des nuages selon Howard, 1830 de la série Je suis une légende |
HJG : Pour les séries Au
passage et Je suis une légende, tu as choisi des formats, modestes -
50x70 cm -, en monochrome, couleur pierre pour la première, diversement colorée
pour la deuxième, mais il en existe une troisième, Wall of fame qui
n’est pas présentée dans l’exposition et dont j’aimerais que tu dises quelques
mots…
Wall of Fame, Star, 2014 |
HJG : Pour le décrochage de
l’exposition chez Lola Gassin tu as prévu une performance (n’oublions
pas que c’est une des nombreuses cordes à ton arc) musicale au joli titre corse
de : I Burtuoni, étrangement sous-titrée « chants traditionnels corses
d’avant-garde », un jeu d’adjectifs antinomiques qui demande un brin
d’explication…
MB : I Burtuoni qui, en corse,
veut dire Les Turbulents (en écho à I Muvrini
pour le titre) est une formation à géométrie très variable, là en l’occurrence je
serai seul, dont l’idée est de créer du chant
traditionnel d’avant-garde. Je m’explique, il s’agit de revisiter le répertoire
traditionnel, parfois en collaboration avec d’autres musiciens, et de
retravailler la voix corse, notamment dans l’esprit de vieux airs où l’on découvre une texture du son, un grain
de voix incroyables qui ne sont pas
ceux de chanteurs professionnels, un rôle social
aussi, perdu aujourd’hui au profit du
spectacle. L’idée est de réintroduire tout cela, mais d’y apporter aussi ce qui
me plaît : l’univers des musiques improvisées, le traficotage sonore… Ce sera donc un concerto
pour voix et effets, en direct ou enregistrés, de même qu’a cappella… Un
éventail assez large de possibilités par rapport à la voix et au chant.
HJG : Puisque qu’on parle
voix, d’où te vient ce timbre si singulier, caractéristique de la voix corse,
éminemment différente du flamenco, des ballades siciliennes et cependant comme
eux, signe distinctif de la voix méditerranéenne…
MB : Ma mère est corse de Calvi
et mon père, bien que né à Joigny, avait un très grand amour de la culture corse. En vacances l’été, j’ai toujours entendu
chanter. De nombreux membres de ma famille étaient musiciens, notamment un
cousin guitariste très sollicité pour des enregistrements, mais dont la difficile
autre particularité était une phobie des moyens de transport, hors
l’automobile, ce qui réduisit considérablement sa
carrière… Mon grand-oncle, autodidacte, jouait du saxophone, du piano, de la
guitare, chantait, faisait des claquettes… Pas un pique-nique dans une crique,
une soirée sur une terrasse, ne se passait sans des chants corses… Mon
attachement à cette culture, moi qui comprends un peu le corse mais ne le parle pas, c’est celui de l’exilé, d'où ma façon
de récupérer une identité.
Propos recueillis par Hélène
Jourdan-Gassin dans l’atelier de Marcel Bataillard,
Nice, février 2015.
Nice, février 2015.
*Le
CIRM organise chaque année en novembre, à Nice et dans sa région, le Festival MANCA.
Du récital au grand
concert d'orchestre, un large répertoire d’œuvres, avec ou sans électronique, y
est présenté. On y rencontre les acteurs de la musique contemporaine. Des
ateliers d’initiation pour les enfants (les mini-manca) ainsi que des
master-class d’instruments sont proposés au public. Des ouvertures vers d'autres
formes d'expression artistique (danse, cinéma ou arts plastiques …) figurent
également au programme.
*Jacques Lepage :
« Parmi les critiques d’art qui valorisèrent l’École de Nice, l’un d’entre
eux eut une place à part : il se nomme Jacques Lepage. Dès les années
soixante, il accompagne la percée de l’École jusqu’à se déclarer plus tard le
« théoricien de l’École de Nice et (notamment) du mouvement
Supports/Surfaces ».
Toutefois, limiter ses activités à la critique d’art est très réducteur, s’agissant de ce personnage,Jacques Lepage fut avant tout un poète et un critique littéraire. Il anima à la suite de Rovini et de Paul Mari un club de poésie dans les sous-sols d’une brasserie de la Place Masséna où se rencontrèrent jeunes artistes et intellectuels niçois ; il fut responsable du Centre d’information et de coordination des revues de poésie. Très éclectique, Jacques Lepage fut également administrateur du Festival international du livre de Nice (avant celui de Paris !), administrateur d’une Compagnie théâtrale, les Vaguants, cofondateur de la revue Acropoles et secrétaire général du Festival des arts plastiques de la Côte d’Azur ».
Toutefois, limiter ses activités à la critique d’art est très réducteur, s’agissant de ce personnage,Jacques Lepage fut avant tout un poète et un critique littéraire. Il anima à la suite de Rovini et de Paul Mari un club de poésie dans les sous-sols d’une brasserie de la Place Masséna où se rencontrèrent jeunes artistes et intellectuels niçois ; il fut responsable du Centre d’information et de coordination des revues de poésie. Très éclectique, Jacques Lepage fut également administrateur du Festival international du livre de Nice (avant celui de Paris !), administrateur d’une Compagnie théâtrale, les Vaguants, cofondateur de la revue Acropoles et secrétaire général du Festival des arts plastiques de la Côte d’Azur ».