La souris et le perroquet
On pourrait s’attendre à une fable, mais il n’en est rien. Il s’est agi ici de voler, car il est très séduisant, un des deux ...
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On
pourrait s’attendre à une fable, mais il n’en est rien. Il s’est agi ici de
voler, car il est très séduisant, un des deux titres des expositions qui occupent
en ce moment les salles de la Villa Arson, sous l’appellation générique de Bricologie.
Pour
la première : Bricologie. La Souris
et le Perroquet, située dans l’espace labyrinthique de la Villa (on en
reparlera), il s’agit d’une réflexion conduite par les commissaires de
l’exposition, deux artistes, Burkard Blümlein et Sarah Tritz, et l’historien
d’art Thomas Golsenne, sur les rapports de l’art et de la technique, avec comme
postulat : Faire, c’est penser.
Avant
de commencer la visite, je voudrais juste dire combien la démonstration de l’intrication
de ces deux fonctions : faire et penser ou penser et faire, est menée ici
avec intelligence et sensibilité par nos commissaires, au point de nous rendre presque
la chose évidente, alors que la fracture que l’on nous dit aujourd’hui réduite est encore bien vivante et continue à mettre sur un
piédestal celui qui pense l’immatériel, c’est-à-dire l’artiste, face à celui
qui se coltine la matière, c'est-à-dire l’artisan. Cette dichotomie est encore
si vivace qu’on ne donne pas l’appellation de sculpteur à celui qui s’exprime
avec la terre, le verre, les métaux précieux, mais bien celle de céramiste, verrier ou bijoutier…
Voilà
qui est dit, mais revenons à Bricologie.
La Souris et le Perroquet. Une petite précision sans doute inutile, mais on
ne sait jamais, ce mot est fait d’une contraction astucieuse entre bricolage et
technologie. Pour ce qui est des bestioles, vous avez quotidiennement en main une
souris devant votre ordinateur et pour ceux qui dessinent (ou dessinaient), le
perroquet est cette petite forme de bois ou de plastique, essentielle pour
tracer d’harmonieuses courbes (elle figure dans l’œuvre de Franck Stella, Valentine Mechanical, 1977, utilisée
pour l’affiche de l’exposition.)
Plus
de quarante artistes participent (je ne peux tous les citer ici) à cette
exposition, ainsi que des œuvres et objets anonymes issus des Musées des Arts
et traditions populaires de Draguignan, du Musée départemental de Grasse, du Musée
des métiers d’antan de Tourrette-Levens, du Nouveau Musée national de Monaco,
du Musée muséum départemental des Hautes-Alpes de Gap, du Musée d’archéologie
de Cimiez, du Palais Lascaris et du Palais Masséna de Nice.
Jean-Marie Perdrix, Total |
Ce
qui est marquant dans cette exposition, ce ne sont pas forcément les œuvres,
certaines sont inégales et j’oserais presque dire que les plus beaux objets
sont ceux du passé, mais leur présentation et l’intelligence avec laquelle les
commissaires les ont fait dialoguer entre elles. Ils ont aussi eu recours à
l’intervention de quelques-uns des artistes participants, qui ont apporté un surcroît
de vie à ces pièces par des explications parfois désopilantes, comme celle de Jean-Marie
Perdrix sur le bien-fondé de son procédé de recyclage des déchets plastiques au
Burkina Faso. Avec des artisans bronziers qui sont ses partenaires depuis vingt ans, il a réalisé
d’étonnants « bronzes à chair perdue » qui sont parmi les pièces qui
m’ont le plus intéressée.
J’ai
insisté précédemment sur cette notion de parcours labyrinthique, car il est
vrai que la configuration de l’aile droite de la Villa se prête à ce cheminement
non linéaire à deux niveaux et plusieurs entrées. C’est un clin d’œil aussi à
Dédale, premier ingénieur, inventeur d’automates (on peut en voir un, ravissant,
dans la salle du bas) et lointain ancêtre des artistes bricologues, amateurs de chemins détournés pour apprivoiser la
technique.
Florentine & Alexandre Lamarche- Ovize, Potacrayons |
Je
ne peux que vous recommander de vous arrêter devant la vidéo qui raconte cette
histoire de dingue, mi-Fellini, mi-Tim Burton, magnifiquement filmée
(professionnalisme made in USA), dont le résultat final un est un gros vilain
cube exhibé par la galeriste Mary Boone et matérialisé ici par un tirage
photographique.
Plus sage mais tout aussi insolite est la rencontre d’un meuble
de marqueterie de la Villa Masséna avec un objet « inutile », Book III (Laocoon), 1981, de Richard
Artschwager, créateur passé définitivement en 1960 du statut d’artisan à celui
d’artiste. J’aime aussi ce Bouquet
d’infortune, 2014, et ce Potacrayons
de Florentine et Alexandre Lamarche-Ovize, qui se veulent sans réel
savoir-faire mais qui créent pourtant de bien séduisants objets.
Richard Artschwager Book III et meuble en marqueterie |
R.Deacon & B.Woodrow |
Au niveau -1, la démonstration est tout aussi intéressante, mais ce sont surtout les pièces d’artistes reconnus qui m’arrêtent : Bétonneuse, 1991, de Wim Delvoye (voir photo en début d'article) répond parfaitement à la thématique, mais aussi Bricolage I, 1982, de Robert Filliou, que j’ai envie de citer : « (…) souvent c’est le matériau qui me donne l’idée, pas l’idée qui me donne le matériau », humilité ô combien grande dans ce monde artistique qui se gargarise de concepts ! Encore quelques découvertes, Les Bouteilles de sorcière, 2007, de Richard Deacon & Bill Woodrow, nées d’une rencontre entre un flacon pour conjurer le mauvais sort, vu dans un musée anglais, et la collaboration des deux artistes avec un artisan verrier, lors de leur résidence au CIRVA à Marseille.
Pour
clore ma promenade, je termine par deux jeunes artistes : du verre encore
avec Entropé, 2014-2015, de Dominique
Blais, une création de l’artiste qui découle d’une observation intense du
travail au CIRVA d’un souffleur et des outils que cette technique réclame… et Panœuptique , 2014, de Loïc Pantali,
sorte
de structure mentale matérialisée par un bric-à-brac de techniques, dessins,
vidéo, sons, moteurs… pour un résultat d’une divertissante et intrigante beauté
plastique.
Loïc Pantali, Panoeuptique |
De
février au 31 août 2015
*Un médiateur de la villa Arson propose un
éclairage sur une sélection d’œuvres de son choix…
BRICOLOGIE. JIPPYE JAA JAA JIPPIE JIPPIE JAAY !
Ce deuxième titre de l’exposition Bricologie n’est pas sans surprendre et me rappelle étrangement des sonorités qui me sont familières. Je questionne et on me répond que ce titre correspond à une chanson qui anime l’univers sonore des magasins de bricolage en Allemagne… Bien sûr, mais pas qu’en Allemagne et dans les magasins de bricolage ! C’est une comptine que les enfants et Hugues Aufray chantent : « Je descends de la montagne à cheval… », avec comme refrain : JIPPYE JAA JAA JIPPIE JIPPIE JAAY ! Voilà qui rend décidément beaucoup plus divertissantes les expositions à la Villa Arson !
Christian Retschlag |
Les
commissaires : Dr. Andreas Bee, Wolfgang Ellenrieder et Thomas
Rentmeister, tous enseignants de la Haute École des Arts et de l’Image de Braunschweig,
ont accompagné treize étudiants de leur école.
Pour
moi, l’intérêt de leurs interventions brèves, juste quelques jours, a résidé
davantage dans l’attention qu’ils ont portée au cadre naturel, culturel et
historique des lieux qu’ils ont découverts (je pense à Christian Retschlag qui a représenté le canon du Château qui
tonne midi chaque jour, ou à Heehyun Jeong / Mathias Jun Wilhelm / Adrian Mudder
qui, avec L’absence des mouettes, ont
évoqué les grands découpages de Matisse), qu’à la problématique du rapport entre
l’idée et la technique, même si ces réalisations ont été faites avec les moyens
du bord !
L'absence des mouettes, Adrian Mudder & Mathias Jun Wilhem & Heehyun Jeong/Mathias |
Une
piste, il me semble, à ne pas négliger,
aujourd’hui où l’on se pose tant de questions en France sur ce que représente
le fait d’enseigner.
De
février au 4 mai 2015
Villa
Arson
20, avenue Stephen-Liegeard
06100 Nice