Yayoi Kusama
Yayoi Kusama " Ma vie est un pois perdu parmi des milliers d'autres pois… " Manifeste de l’oblitération 19...
https://lolagassin.blogspot.com/2014/11/yayoi-kusama.html
Manifeste de l’oblitération
1960.
De l’art
comme thérapie à la révélation du génie.
Voilà bien un
sujet hautement délicat, à manier avec autant de précaution qu’un tube à essai renfermant les virus de la fièvre Ebola, de la
grippe H1N1 et de l’anthrax ! L’art et la
folie.
Enfin, l’énoncé et la question sont un peu plus complexes
que ça. Que peut-on et comment peut-on juger une œuvre dont on sait qu’elle
s’ancre dans une catharsis ? Celle de sauver d’elle-même une artiste (ou
sauver de lui-même un artiste). C’est périlleux car nous ne pouvons pas
prétendre à l’objectivité, n’exerçant pas la
profession de psychiatre.
Il y a une
genèse à la folie chez tous les patients. Je dis patient à dessein, car Yayoi Kusama vit en hôpital psychiatrique
depuis longtemps maintenant (à peu près 1975).
D’abord il
y a eu une mère, toxique, un père qui, très probablement, ne l’a pas protégée, ou pas assez, en tout cas pas
comme il le fallait, le tout dans un univers bourgeois et disciplinaire du Japon de la première moitié du XXème siècle.
Comme les
malheurs volent en escadrille, l’armée nippone
ne tarde pas à entrer en guerre et c’est l’attaque de Pearl Harbor… L’enfance de la fratrie Kusama vole
définitivement en éclats, tandis que la petite Yayoi confectionne des
parachutes pour les soldats.
Et toujours
cette famille lancinante, cette mère persécutante… Hors de question d’envisager
les études de dessin et d’art qui passionnent
Yayoi Kusama… C’est comme ça ! Si on part pour Tokyo, c’est pour y apprendre un métier...
Eux sont – industriellement
– dans les fleurs et les plantes…
Ils sont
tellement dans les fleurs jusqu’aux yeux, les
Kusama, qu’ils en hallucinent leur fille qui en
voit partout. Des fleurs. Du rouge. A perte de vue. A s’en rompre la raison.
Des fleurs, qui deviennent floues, qui perdent leur contour initial pour
devenir des pois.
Infinity Mirror Red Room, Georges Pompidou |
Des petits
pois, des petits pois, toujours des petits pois… Et des petits pois, et des
petits pois… C’est pas du Gainsbourg, mais c’est
largement aussi talentueux.
Le pois, c’est le rond. Nous apprenons, à moins que je me trompe, que le cercle est la forme parfaite. La
perfection dans ce monde où rien ni personne ne l’est, signifie qu’il n’y a
rien de plus accompli. Et pourtant cette thèse - qui tient plus de l’affirmation d’ailleurs - a la peau dure, car les mathématiques, qu’on ne
pratique jamais assez et qui sont elles-mêmes au centre de tout ce qui est en
ce monde, nous démontrent qu’effectivement le cercle est la forme
irréprochable.
Lisons plutôt
ce qu’en pense l’instable Kusama, c’est extraordinairement poétique, pertinent,
c’est japonais : " … un pois a à la fois la forme du soleil, symbole
de l’énergie du monde et de notre vie, et celle de la lune, qui est calme. Ils
sont ronds, doux, colorés, absurdes et inconscients. Les pois deviennent du
mouvement… les pois sont un chemin vers l’infini. "
Il y aurait
de l’Einstein chez Kusama, la volonté de rationaliser l’infini, de tenter de le
formuler. " Les pois sont un chemin vers l’infini. "
Qu’est-ce que cela peut bien vouloir nous dire ?
Postulons que
le pois soit l’infini.
Imaginons une
correspondance Kusama
/ Einstein :
Y. K : Je me pose une question : certains scientifiques pensent que l'Univers est infini, or d'après la théorie du big-bang, l'Univers était
délimité au commencement puisqu'on dit qu'il était plus petit qu'un atome. Donc, comment est-ce possible que quelque chose de fini
devienne infini?
Réponse
d’Einstein :
Chère amie *,
Je ne crois pas non plus que l'Univers soit infini. S'il
était infini, il me semble que le ciel serait blanc la nuit, puisque nous
recevrions de la lumière en provenance d'une infinité d'étoiles d'une infinité
de galaxies.
Cela dit, il ne faut pas oublier
que l'Univers
primitif, aussi petit soit-il, n'était pas dans «quelque chose» le bornant.
Plusieurs personnes donnent comme exemple pour comprendre le big-bang et l'expansion
de l'Univers, l'action de
souffler dans un ballon sur lequel on aura dessiné quelques «galaxies» au
crayon. L'exemple est trompeur, parce que dans ce cas-ci, le ballon dans lequel nous
soufflons se trouve dans quelque chose, autrement dit dans la pièce qui
l'entoure. L'Univers
primitif, lui, n'était borné par rien au moment du big-bang.
(* il s’agit
d’un véritable échange d’Einstein, mais pas avec
Kusama bien entendu.)
Dots for Love and Peace, courtesy Ota Fine Arts, Tokyo |
L’artiste ?
L’obsessionnelle
compulsive ?
Probablement,
et c’est là que le bât blesse pour
l’obsessionnelle compulsive… Envisager le cercle
non comme une perfection,
mais comme un support aux phallus.
Elle fabrique
d’ailleurs des quantités délirantes de formes phalliques avec ses draps,
qu’elle découpe, coud et rembourre. Puis elle les colle sur des fauteuils ou
des escabeaux, en emplit des chaussures. Et elle
se met en scène au milieu des ces « accumulations ».
Le retour au
Japon, en 1973, est douloureux. Après une tentative de suicide en 1976, elle
s’installe à l’hôpital psychiatrique mais continue à créer abondamment, dans
son atelier proche. Les phallus se muent en reptiles, s'enroulant sur des
poteaux ou jaillissant du sol.
L’utilisation du pois devient systématique dans de nouveaux « environnements ». Dans un espace clos, des miroirs démultiplient les pois à l’infini autour du visiteur.
Nous sommes dans la répétition infinie chez Kusama, mais pas dans une approche du cercle comme démonstration de l’existence de l’infini. C’est pour ça que son travail est semblable au tonneau des Danaïdes, c’est Sisyphe et Hercule, ça n’en finira jamais… Parce que c’est interminable. L’éternel retour de la même idée, des petits pois, partout, des petits pois toujours… Que rien, ni personne ne comble… Pour Kusama la nature a très certainement horreur de ne pas être pleine de pois comme elle a horreur du vide. L’hallucination de Kusama est tellement puissante qu’elle n’envisage aucune autre solution à l’existence que celle de l’encercler. De l’enfermer. Folle, disais-je d’elle?
Finalement, quelle est la forme parfaite pour décrire l’obsession ? Le cercle. Qui rend fou. Pensez à ce rongeur qui pédale comme un dératé dans la roue de sa cage. N’est-ce pas le rond, le pois, donc, qui rend fou, et pas l’inverse ? Ce qui tendrait à penser que Kusama est devenue folle en envisageant son art obsessionnellement tourné vers les pois. Elle n’était pas folle a priori, elle l’est devenue.
Mazette ! Ça
change tout ! Et en même temps ça (pas au sens lacanien, voyez, non, j’écris juste ça pour ne pas dire cela) serait plutôt rassurant.
Car Kusama n’est pas si folle lorsqu’elle se meut en femme d’affaires vendant
7500 euros pièce un téléphone fabriqué en édition
limitée à 1500 exemplaires. Ou vend un dessin de sac chez Vuitton, ou bien encore crée sa griffe de vêtements tokyoïtes... Le tout avec autant de talent que de succès.
On ne peut omettre de parler de son long passage new-yorkais dans cette décennie dingue qui a vu exploser Andy Warhol, lequel au passage s’est bien chargé de lui piller le concept de répétition qu’elle a créé ex nihilo.
Elle y a appris le goût de la réussite, la volonté surpuissante de la reconnaissance et son connexe, un fort appétit pour l’argent. Mais les années psychédéliques ne furent pas que ça, on a également consommé, et ne nous c
achons pas derrière notre pétard du soir,
beaucoup de drogues dont certaines faisaient rire, certes,
mais surtout collaient bien au plafond la jeune Japonaise,
déjà fragile... Les pois, les phallus, le rouge
sang n’ont peut-être pas seulement une origine familiale.
Si c’est le cas, tant mieux, cela signe la liberté absolue de Yayoi Kusama comme artiste, femme, être libre, bref le cercle fermé pas si vertueux ni parfait que ça mais intense que fut celui de Donald Judd, Mark Rothko ou Andy Warhol . Un pois c’est tout.
Sonia Dubois
Yayoi Kusama
Exposition en 2012, Centre Pompidou
Place Centre Pompidou 75001 Paris
L’utilisation du pois devient systématique dans de nouveaux « environnements ». Dans un espace clos, des miroirs démultiplient les pois à l’infini autour du visiteur.
Nous sommes dans la répétition infinie chez Kusama, mais pas dans une approche du cercle comme démonstration de l’existence de l’infini. C’est pour ça que son travail est semblable au tonneau des Danaïdes, c’est Sisyphe et Hercule, ça n’en finira jamais… Parce que c’est interminable. L’éternel retour de la même idée, des petits pois, partout, des petits pois toujours… Que rien, ni personne ne comble… Pour Kusama la nature a très certainement horreur de ne pas être pleine de pois comme elle a horreur du vide. L’hallucination de Kusama est tellement puissante qu’elle n’envisage aucune autre solution à l’existence que celle de l’encercler. De l’enfermer. Folle, disais-je d’elle?
Finalement, quelle est la forme parfaite pour décrire l’obsession ? Le cercle. Qui rend fou. Pensez à ce rongeur qui pédale comme un dératé dans la roue de sa cage. N’est-ce pas le rond, le pois, donc, qui rend fou, et pas l’inverse ? Ce qui tendrait à penser que Kusama est devenue folle en envisageant son art obsessionnellement tourné vers les pois. Elle n’était pas folle a priori, elle l’est devenue.
Yoyoi Kusama pour Louis Vuitton |
limitée à 1500 exemplaires. Ou vend un dessin de sac chez Vuitton, ou bien encore crée sa griffe de vêtements tokyoïtes... Le tout avec autant de talent que de succès.
On ne peut omettre de parler de son long passage new-yorkais dans cette décennie dingue qui a vu exploser Andy Warhol, lequel au passage s’est bien chargé de lui piller le concept de répétition qu’elle a créé ex nihilo.
Elle y a appris le goût de la réussite, la volonté surpuissante de la reconnaissance et son connexe, un fort appétit pour l’argent. Mais les années psychédéliques ne furent pas que ça, on a également consommé, et ne nous c
Yayoi Jusama |
Si c’est le cas, tant mieux, cela signe la liberté absolue de Yayoi Kusama comme artiste, femme, être libre, bref le cercle fermé pas si vertueux ni parfait que ça mais intense que fut celui de Donald Judd, Mark Rothko ou Andy Warhol . Un pois c’est tout.
Sonia Dubois
Yayoi Kusama
Exposition en 2012, Centre Pompidou
Place Centre Pompidou 75001 Paris