Au Pays des Enchantements

Alice Guittard & Quentin Spohn

Lorsque le jury dont je faisais partie a choisi, parmi les diplômés de la Villa Arson, Alice Guittard et Quentin Spohn comme lauréats du Prix 2013 de la Jeune Création de la Ville de Nice, ce sont leurs individualités fortes qui ont guidé notre choix. Loin de nous, disons de moi pour être plus être honnête, le sentiment que nous allions voir éclore un travail en commun (l’exposition à la Galerie de la Marine étant un des aspects de la récompense) d’une telle originalité.

En réalité, bien qu’a priori, tout les sépare, Alice s’exprimant par la performance et la vidéo, Quentin par des dessins et des volumes d’un expressionnisme onirique peu familier aux enseignements contemporains des écoles d’art, deux affinités les réunissent, l’omniprésence de la notion de paysage et leur passion commune pour les romans d’aventures. Alice aborde ces notions physiquement dans ses performances où elle se met elle-même en danger ; Quentin les rêve, nourri de manuels scientifiques, de films fantastiques, de Pulps* et dans ce cas précis, de documents, imageries et réalisations burlesques du Carnaval de Nice (nous le verrons par la suite).

Détail de la grotte

Comment s’est élaborée cette osmose entre leurs deux expressions artistiques ? D’abord, ils sont de la même promotion Arson ; ça crée des liens malgré les différences, et puis, Alice le dit : " Quentin porte beaucoup d’intérêt aux autres artistes… Le lendemain de notre prix, il avait tout lu sur mon mémoire ! "

A partir de juin 2013, ils se sont vus et ont abordé divers problèmes avec Martine Meunier, la directrice de la Galerie, pour construire cette exposition pour laquelle ils ont eu, à la fois, la disponibilité d’un espace dans les locaux du Chantier Sang Neuf correspondant à l’architecture de la Galerie de la Marine, et l’accès aux chutes de matériaux servant à la confection des chars du Carnaval (blocs de polystyrène, mousses de polyuréthane, baguettes de bois, etc.) qu’ils ont manipulés, imbriqués, transformés…, leur donnant cette vie nouvelle qui nous mène :

Au Pays des Enchantements !

Tel ces manèges où l’on se presse pour embarquer dans le vaisseau fantôme, le public se rassemble pour pénétrer dans la Galerie de la Marine afin de découvrir de quel ordre est cet ensorcellement annoncé…

Un sas aménagé pour tempérer son ardeur offre au visiteur une grande carte, plus utile à l'égarer qu’à l’éclairer et à la faveur de l’obscurité, lui laisse découvrir une vidéo lui livrant des sons et des territoires inexplorés… A-t-il quitté la terre ? Est-il arrivé, avant l’heure, sur la comète 67P/Tchourianov-Guerassimenko dite « Tchouri » ?

Au Pays des Enchantements, détail

Ses yeux s’étant acclimatés aux ombres, il pénètre dans cette sorte de la grotte… Paradis ou enfer ? Il pense aux paroles de Dante "Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate *", pourtant il chemine et sous ses pieds le sol sablonneux ne lui semble pas hostile… Des sortes de stalagmites (sont-elles minérales ou végétales ?) bordent son parcours et guident ses pas vers des petits foyers de lumière, bleus, rouges où se dressent des céramiques, peut-être des talismans… il avance encore, attiré par les ultrasons qu’envoient des chauves-souris pour trouver leur chemin ; serait-ce la grotte de Batman ? Pourtant rien de suprahumain ne se manifeste et le murmure de l’eau d’un bassin le rassure et l’apaise. Il n’a plus qu’à rebrousser chemin, cheminant cette fois avec plaisir parmi ces formes pourtant bien étranges… Ce n’est pas l’enfer..., juste une grotte enchantée !

J’aurais pu vous parler des références, repères, citations, qui sont au cœur du travail considérable de ces deux artistes ; vous expliquer comment sont réalisées cette vidéo, comme les sculptures qui composent cet étrange environnement pour aboutir à une installation inédite et étonnamment courageuse, mais vous trouverez à l’entrée de la galerie, un excellent catalogue avec des illustrations et un beau texte d’Alexandre Quoi, qui vous servira de guide. Libre à vous, alors, d’entamer votre propre voyage.

*Les pulps, abréviation de « pulp magazines », étaient des publications peu coûteuses, très populaires aux États-Unis durant la première moitié du XX^e siècle. Ces magazines publiaient principalement de la fiction (très souvent présentée comme la narration de faits réels) et les thèmes abordés étaient très divers, allant de la romance au récit fantastique, en passant par les histoires de détective et la science-fiction. Les quelques pulps encore existant de nos jours sont, pour la majorité, orientés vers la science-fiction et le fantastique.

* « Vous qui entrez, abandonnez toute espérance », la Divine Comédie, Dante Alighieri »

Galerie de la Marine
Au Pays des Enchantements
Alice Guittard et Quentin Spohn
31.10.2014 – 8.02.2015
Exposition des lauréats 2013 du Prix de la Jeune Création
Ville de Nice/Fondation Bernar Venet