Nu et contemporain
Etre nu de nos jours, quoi de plus naturel ? Peindre des nus et être contemporain, c’est moins évident. La peinture, le réalisme, sont ...
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Etre nu de nos jours, quoi de plus naturel ? Peindre des nus et être contemporain, c’est moins évident. La peinture, le réalisme, sont souvent considérés comme passéistes. Comme il est dit dans le texte (intitulé faux entretien) qui accompagnait l’exposition de Vincent Corpet à Nice, en 2000, à la galerie des Ponchettes : « (…) Le mépris de Marcel Duchamp pour les artistes rétiniens faisait encore, 70 ans après, force de loi. »
Est-ce toujours le cas en 2010 ? Pas d’aussi criante façon, car après des vagues de conceptuels, et post-post conceptuels, l’œil a repris quelque droit, « l’œil voit » ! Que cherche l’artiste qui revendique cette fonction rétinienne ? A réinventer ce qui lui est le plus « naturel », le plus commun : une image de l’homme (portraits, nus) et aussi du paysage.
Depuis la Vénus de Willendorf (23 000 ans av. J.-C.), l’apparition de la nudité est concomitante à l’art lui-même. Féminin ou masculin, fortement sexué ou pudiquement voilé, le nu est, à travers les siècles, une définition esthétique, psychologique, philosophique de l’être humain. Parler de nudité c’est, sans vouloir faire un inventaire, évoquer le David de Michel-Ange, la Naissance de Vénus de Botticelli, l’Olympia de Manet, L’origine du Monde de Courbet, la Baigneuse endormie de Renoir… Ce sont aussi, au XXème siècle, Les Demoiselles d’Avignon de Picasso, Leigh on the Green Sofa de Lucian Freud…, des photographes comme Newton, Mapplethorpe, Koons, etc., qui ont traité la nudité dans ce qu’elle a de plus cru.
J’ai de mon côté cherché à entendre de la bouche de quelques artistes, des peintres uniquement, ce que représentait pour eux le nu.
Vincent Corpet a été mon premier interlocuteur : « Les poses me sont apparues comme étant la meilleure manière de rencontrer autrui. Je ne choisis pas mes modèles. Il y a six ou douze poses de deux heures. La pose est toujours la même, debout, de face, les bras ballants. Je me tiens à moins d’un mètre du modèle, ce qui crée une vision parcellaire que j’accentue en peignant comme une sorte de photocopieuse : mes yeux toujours à la hauteur de la partie du corps à peindre. Le rythme des poses est tributaire du séchage de la peinture. Une moyenne de cinq semaines est nécessaire pour l’élaboration d’un nu. Il m’est apparu que seule une fausse simplicité pouvait explorer la représentation du nu, en peinture, d’une façon nouvelle. J’ai pensé alors que la figuration d’un corps dont je ne serais pas le présentateur n’avait jamais été réalisée. »
Stéphane Pencréac’h, avec cette exclamation : « tant qu’il y aura des femmes, il y aura des nus… », dit aussi : « Le nu n’est pas une tradition picturale, l’art ne s’occupe que de l’homme (le sujet c’est l’homme, disait Bacon) et l’homme est nu dans le monde. Ainsi il y aura toujours la représentation de l’autre sans rien, entier donc. Par ailleurs, l’art est affaire de renouvellement des formes, à ce titre le nu comme tout le reste peut, et même doit, être renouvelé formellement. Il y a probablement plus de représentations nouvelles du nu depuis la modernité et jusqu’à aujourd’hui que depuis 30 000 ans. »
Axel Pahlavi dit avoir d’abord envisagé le nu comme base de la représentation. Un rapport à l’anatomie comme source et comme finalité. Mais ensuite « cette approche technique m’a très vite mis en relation à la part métaphysique du sujet. Mon corps et celui de l’autre m’ont probablement amené vers un début de chemin spirituel. Je pense, à brûle-pourpoint, à ce que je sais du Cantique des Cantiques, où semble se dégager une relation charnelle entre Dieu et les hommes. Il me semble que dans sa maladresse, cet amas de chair et de sang s’érige, par le biais de la peinture, en une représentation possible de l’âme. »
Que nous dit Katia Bourdarel (illustration) ? « Parce qu’on associe facilement nudité avec beauté, j’utilise cette pensée rassurante et superficielle pour opérer des glissements en installant mes nus dans un contexte troublant. Ils parlent d’envie et de provocation, d’exaltation et de culpabilité, de désir et de crainte, ils sont sur une frontière, ils disent l’épaisseur de la chair et de l’âme même, ils parlent du vivant, du risque de se perdre, ils flirtent avec les limites… »
Gilles Miquelis, lui, voit dans le nu une forme de distanciation, de respect. Une sublimation sexuelle, une façon de montrer que l’être humain est unique, singulier, magnifique.
La nudité n’est-elle pas, somme toute, pour le peintre, la recherche ultime de la vérité ? L’artiste est alors comme l’enfant du conte d’Andersen : il ose dire que le roi est nu.
Hélène Jourdan-Gassin t
Texte paru dans COTE Magazine, N° 186,juillet/août 2010